Terreur nocturne
Nouvelle écrite dans le cadre du prix Lélia dont le thème était "empreinte"éfi d'écriture de la ville de Saint-Calais. De huit à dix mots (en gras dans le texte) devaient être intégrés dans un récit d'une page.
Lucie se réveilla en sursaut, confuse. Il lui fallut quelques instants pour se souvenir qu’elle était chez elle. Au plafond, la lucarne entrouverte diffusait une faible lueur, artificielle et orangée, mais pas le moindre souffle d’air. Sous les toits, sa chambre de bonne accumulait la chaleur de la journée et la restituait la nuit. Elle portait un pyjama léger et s’était couverte d’un drap, elle détestait ne rien avoir sur elle pour dormir.
En se basant sur la lumière qui venait de l’extérieur, elle estima qu’il était trois heures du matin. Plus que quelques heures de sommeil avant de partir en cours. Sur le point de se rendormir, elle crut entendre un bruit. Vaguement mal à l’aise, elle se demanda si c’est ce qui l’avait réveillée. Mais l’immeuble vieillissait et craquait régulièrement. Pas de quoi s’alarmer.
Encore. Et cette fois, pas de doute, elle connaissait ce bruit par cœur. La dernière marche de l’escalier en bois qui menait à sa chambre. Elle grinçait quand on posait le pied dessus puis à nouveau lorsqu’on l’enlevait. Lucie attendit mais rien ne vint. Si quelqu’un montait, il s’était arrêté devant sa porte.
Parfaitement réveillée maintenant et sentant arriver l’angoisse, elle s’efforça de rester immobile pour se concentrer sur les sons qu’elle percevait. Une respiration ? C’était faible, mais régulier. Comme un souffle. Ou un frottement ? Sans savoir pourquoi, elle pensa à monsieur Folin, un locataire du rez-de-chaussée. Ils se croisaient parfois le matin quand elle partait en cours. Il était toujours poli, mais elle sentait son regard insistant posé sur elle quand elle s’éloignait. Elle espérait que c’était lui. Il était chétif et elle pourrait le neutraliser facilement.
« Il… Il y a quelqu’un ? ».
Ridicule ! Si quelqu’un lui voulait du mal, il n’allait pas s’annoncer. Et dans le cas contraire, il aurait déjà frappé à la porte. Le ton suppliant de sa voix l’avait surprise, mais le souffle s’était arrêté. Ou elle ne l’entendait plus. Ou il n’avait jamais existé. Tu te montes toujours la tête pour rien, disait sa mère.
La dernière fois qu’elle était allée la voir, Lucie avait cru repérer une voiture qui les suivait depuis la gare et elle avait imaginé toutes sortes de scénarios. D’abord inoffensifs, puis franchement inquiétants. Enfin, la voiture avait tourné et elles avaient ri de soulagement. Pourvu que ce soit ça. Elle l’appellera demain. Tout à l’heure, en fait. Elle lui racontera. Elle rira avec elle. Et sa mère dira Tu te montes toujours la tête pour rien.
Elle s’obligea à respirer calmement, et à réfléchir. La porte de sa chambre la protégeait. Si quelqu’un voulait entrer, il devrait la forcer et le bruit réveillerait les autres locataires.
Sauf si elle avait oublié de la verrouiller, comme la semaine dernière. Elle s’était aperçue en partant le matin qu’elle n’avait pas tourné les clés dans la serrure. Cette fois, elle était presque certaine d’avoir fermé avant d’aller se coucher. Presque. De toute façon, elle n’osait pas abandonner la sécurité de son lit pour aller vérifier. C’était idiot, elle s’en rendait compte. Et puis, elle avait encore la possibilité de se dire que tout cela n’était qu’un cauchemar. Se lever aurait rendu la peur tangible et elle ne pensait pas pouvoir le supporter.
Ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité, elle distinguait mieux sa chambre. Elle regarda autour d’elle. Son portable. Qui appeler à cette heure ? Si ça se trouve il n’y a personne devant chez moi. D’ailleurs il n’y avait plus de bruit depuis plusieurs minutes.
Elle le ressentit physiquement avant de l’entendre. Un frottement, comme… Des ongles. Qui grattaient la peinture de la porte en crissant. Lentement. Un son faible mais douloureux qui provoqua chez elle une réaction viscérale. Lucie se boucha les oreilles, ce qui n’eut aucun effet. Le bruit résonnait dans sa tête.
Elle transpirait une sueur rance qui avait détrempé le drap. Depuis quand fait-il si chaud ? Le tissu moite collait à sa peau, mais elle ne pouvait pas se résoudre à l’enlever. Il représentait sa seule défense. Elle s’assit dans le lit et posa le menton sur ses genoux en les enlaçant. La panique enserrait sa poitrine. Dans la chambre, la température montait, comme si sa peur alimentait un four immense. Une odeur de feu envahit la pièce. Les larmes roulaient sur ses joues. Et toujours ce bruit. Ces ongles qui grattaient, lentement. Si lentement…
Incapable de bouger, elle sentait sa raison s’évaporer. Paradoxalement, la terreur sourde qui occupait toutes ses pensées la détournait de l’horreur qu’elle vivait et l’empêchait de basculer entièrement dans la folie.
À l’étage inférieur, une porte claqua et tout fut fini. Le grattement cessa, la température chuta et sa peur s’éteignit. Lucie reprit son souffle avidement comme si elle sortait la tête de l’eau. Toujours assise, les genoux sous le menton, elle n’osait pas bouger.
Combien de temps était-elle restée prisonnière du grattement ? Le jour se levait, elle entendait la ville s’animer par la lucarne. Après de nombreuses minutes, elle se résolut à quitter le lit et son premier geste fut de vérifier que sa porte était bien verrouillée. C’était le cas. Elle n’avait jamais été en danger finalement. Elle n’appela pas sa mère et se prépara comme un matin normal. Elle voulait laisser ce cauchemar derrière elle.
Au moment de partir, Lucie retint sa respiration et ouvrit la porte brusquement. Bien sûr, personne n’attendait derrière pour lui sauter à la gorge. Elle inspecta la peinture. Aucun signe du crissement dont l’horreur se dissolvait déjà dans son esprit. Tu te montes toujours la tête pour rien.
Jetant son sac sur l’épaule, elle verrouilla sa porte et descendit l’escalier en vitesse. Sur la marche devant sa porte, elle passa sans voir les deux traces sombres qui marquaient le bois. Comme des griffes, tellement chaudes que leur empreinte aurait marqué le bois.